mardi 13 septembre 2016

La nouvelle économie, arbitre du match bailleurs-preneurs


Ils entretenaient jadis une relation on ne peut plus tendue : entreprises locataires et propriétaires bailleurs ne parlaient que d’argent car ils n’avaient pas d’autres sujets de conversation. L’irruption des prestataires de coworking a rebattu les cartes en inventant trois concepts : le besoin, le service et le client.


Le monde de l’immobilier d’entreprise a développé, comme beaucoup d’autres univers professionnels, un vocabulaire qui n’appartient qu’à lui. Le « bailleur » désigne ainsi le propriétaire d’une surface de bureaux qui, si elle n’a rien de particulier, entendez, s’il ne s’agit ni d’un entrepôt, ni d’une surface commerciale, se voit affublée de l’adjectif « banalisée ». Quant au locataire, il est le « preneur », le signataire du contrat de bail. Cela donne une idée de l’état dans lequel était jadis la relation client : lorsqu’un « preneur » était amené à louer des bureaux « banalisés », on pouvait, sans trop d’erreur, supputer que les échanges qu’il entretenait avec son « bailleur » étaient proches de zéro. Une relation peu constructive parce que conflictuelle par nature et sous-tendue d’une défiance réciproque. Le rêve du propriétaire était de coincer son locataire dans un contrat le plus long possible, celui du locataire était de renégocier les termes de son bail, le montant de son loyer. Tout était affaire de gros sous. Parler de service, de fidélisation client n’avait pas lieu d’être : si mon locataire n’est pas heureux, qu’il aille trouver ailleurs, prendre à bail un autre bureau banalisé…

La vision du bureau reste traditionnelle


Evidemment, le monde tel que je viens de le décrire est aujourd’hui révolu. Heureusement, les propriétaires se préoccupent des besoins de leurs locataires. Lorsqu’ils rénovent une tour à La Défense, ce n’est pas seulement pour répondre aux obligations réglementaires du désamiantage et du Grenelle de l’environnement. C’est aussi pour rendre leur offre de bureaux plus attractive sur le marché, faire venir de belles signatures qui valoriseront indirectement leur patrimoine. Mais leur réponse est essentiellement immobilière, c'est-à-dire qu’ils vont réfléchir à moderniser la répartition des espaces, remettre l’accueil au goût du jour, proposer des lieux de convivialité, des douches pour les futurs collaborateurs cyclistes etc. Le triptyque Equipements, Aménagements, Mètres-carrés.  
En revanche, toucher au sacro-saint Bail, jamais. Vous avez besoin d’héberger une équipe en surnombre pour un projet pendant deux ans ? Signez là, mais pour trois, six ou neuf ans. Vous n’utilisez vos salles de réunion que 20% du temps ? Que voulez-vous y faire : un m² de réunion n’est pas un m² d’open-space et la réglementation nous interdit de toucher à cette répartition. Vous voulez un accueil convivial comme un café ? Il vous faudra le payer dans vos charges.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la vision du bureau reste très traditionnelle.

Débanaliser l’offre de bureaux


C’est là que l’hydre de la nouvelle économie pointe son nez. Les entreprises de coworking (travail partagé) comme l’anglo-saxon Wework ou le français Nextdoor, bouleversent le paysage avec quelques idées simples. Transformer un bail en contrat, modifiable et résiliable au mois le mois, c’est eux. Proposer des espaces de réunion partagés, c’est encore eux. Animer un immeuble, entretenir un esprit de convivialité et de partage propre à favoriser les synergies entre start-up (jeunes pousses), c’est toujours eux. Et, ce qui les différencie de leurs aînés loueurs de bureaux pré-équipés, offrir ces services à des prix compétitifs tout compris, c’est bien eux, grâce à la densification poussée des plateaux permettant de faire fonctionner leur modèle économique.
Les coworkers révolutionnent, mais avec de vieilles recettes. Celles qui veulent que le prix n’est pas le seul élément d’une offre marketing. Le service, la souplesse, l’adaptabilité, l’accueil, la pérennité de la relation et, pourquoi pas, l’attachement à la marque, autant de besoins des entreprises locataires auxquels ils répondent. Les propriétaires ont bien compris d’où venait le vent en tâchant de « débanaliser » et en multipliant les services associés aux m² loués.

Transformer les locataires en clients


Quelle stratégie suivre pour un bailleur qui voudrait prendre le train du renouveau de son offre ?
La première voie est de s’associer à un tiers, de faire appel à l’une de ces entreprises de la nouvelle économie et de profiter de son savoir-faire en matière de partage du travail pour assouplir l’offre. Une relation gagnante : ouvre-moi les portes de ton parc immobilier et je t’animerai tes immeubles en y installant une nouvelle génération d’occupants, PME, start-up ou spin-off (essaimage) de grands groupes.
Mais vite va se poser la question de la vampirisation des marques. A moins de s’associer dès le départ autour d’un projet commun, le bailleur risque fort d’être cannibalisé par la puissance de l’enseigne du coworker qu’il va héberger.

Seconde solution, le faire soi-même. Un certain nombre de grands propriétaires on entamé des réflexions en ce sens : transformer leurs locataires en clients. Ecouter les besoins de l’occupant en lui donnant la parole, mettre en place une relation dans la durée avec un directeur de clientèle attitré, déployer de nouveaux services propres à lui donner satisfaction, la logique est facile à enclencher – après tout, d’autres l’ont fait qui venaient du secteur public*. Mais, derrière tout cela, la difficulté est de sortir de la logique immobilière dont j’ai parlé plus haut : Equipements, Aménagements, Mètres-carrés ne suffisent pas à répondre aux besoins. Il faut aussi offrir des services et, cela, les propriétaires bailleurs vont devoir l’apprendre car ce n’est pas leur métier d’origine.

Le règne des architectes va devoir laisser la place à celui des commerçants.




* Que dire de la SNCF ou de la Poste qui ont opéré depuis longtemps leur révolution Copernicienne en transformant les usagers en clients et cela bien avant qu’ils ne soient confrontés aux coups de la nouvelle économie? L’immobilier, qui relève pourtant du secteur privé, n’est pas à la pointe en matière de relation client.

jeudi 1 septembre 2016

Sept règles à suivre si vous persistez à vouloir refaire votre site web.


Il vous coûte cher, vieillit à grande vitesse et vous donne envie de mordre lorsque, dans un dîner ou au détour d’un couloir, on vous fait remarquer combien il est obsolète. Qui ça ? Votre site web bien sûr. Voici sept bonnes pratiques à suivre lorsque vous vous déciderez – enfin – à le repenser.


Règle numéro un : soyez smart


Un jeune entrepreneur avec qui je discutais récemment d’un projet passait son temps, au fur et à mesure que je lui en expliquais les termes, à regarder son smartphone. J’étais au départ assez vexé, pensant qu’il trouvait ma conversation ennuyeuse au point d’aller se ressourcer sur son compte FaceBook. Mais je me rendis rapidement compte qu’en réalité, il consultait Internet pour vérifier ou compléter les informations que je lui donnais. En deux coups de pouce, c’est le cas de le dire, il captait l’essentiel des entreprises que je citais, leurs métiers, leur positionnement ou leur poids.
Il y a mille et une autres façons d’utiliser Internet. Au bureau sur son PC, au lit, le soir, sur sa tablette, dans les transports pour peu qu’une connexion soit établie. Mais celle de mon interlocuteur conditionne toutes les autres : si votre site web fonctionne bien sur un smartphone, vous êtes sûr qu’il sera efficace sur tous les autres supports, tablettes, PC etc. Commencez donc par concevoir un site pour smartphone, le reste suivra.

Règle numéro deux : soyez court


C’est la conséquence de la précédente règle. La tendance est aujourd’hui au One Page Design (page unique) qui fait que, dans un sens ou dans l’autre, vous aurez accès à l’essentiel du site. Evidemment, l’exercice est assez frustrant pour les concepteurs car oblige à être très synthétique, mais pensez que 95% de vos visiteurs ne passeront guère plus de 30 secondes ou une minute sur votre site, pas plus. Ils veulent une carte de visite, pas un roman. C’est ce que j’ai récemment expliqué à un webmaster qui a ainsi dû reconcevoir son site pour faire rentrer en une seule les… 4000 pages qui le composaient.
Alors, organisez vos informations. Horizontalement, le carrousel qui, en trois voire quatre (pas plus) écrans, met en avant les événements liés à votre entreprise : campagne publicitaire, lancement d’un nouveau programme etc.
Verticalement, avec le long scrolling (page longue), l’internaute peut lire l’essentiel des informations sur votre entreprise : ses métiers, les dirigeants, les produits, les actualités récentes. Regardez par exemple, la page d’accueil de Hudson Yards, l’un des gros programmes d’aménagement de New-York. Une seule page et tout est dit (ou presque).

Règle numéro trois : soyez long


Ce n’est pas contradictoire avec ce que je viens de dire : soyez synthétique quand vous vous présentez (pensez à la carte de visite sur smartphone), mais bavard lorsqu’il s’agit de votre métier. Les anglo-saxons parlent de story telling. Racontez de belles histoires, faites témoigner vos clients, ajoutez de la profondeur, du vécu, à vos offres. Les réseaux sociaux bruissent des articles des bloggeurs qui font et défont les réputations des grandes marques. C’est le cas depuis longtemps pour le monde du luxe et des cosmétiques, mais c’est aussi le cas de l’immobilier où les blogs sont en plein développement. Alors, jouez le jeu de ces bavards : soyez-le vous-aussi.
Le blog est, en termes de technologie, moins spectaculaire qu’un site web. Il est une juxtaposition de textes de deux ou trois feuillets, voire plus (un feuillet fait 1500 signes). Personnellement, je recommande de l’isoler du site web, qui est technologiquement plus efficace. Cette séparation permet des renvois mutuels, le blog agissant un peu comme une tribune de presse par rapport au site-page-unique-carte-de-visite.

Règle numéro quatre : soyez utile


Un site web ne sert pas seulement à fournir de l’information. Il peut aussi être utile. C’est la définition d’une app (application), que de permettre de faire quelque chose : commander un taxi, réserver un hôtel etc. sans avoir besoin de téléphoner ou de se rendre dans une agence spécialisée. Si vous êtes un génie et que vous avez trouvé l’app qui va révolutionner le monde, vous deviendrez le roi de la Planète, comme Uber ou Booking. En attendant, réfléchissez à ce qui serait pratique pour vos clients. Par exemple, consulter en ligne le dossier d’un local commercial sans avoir à téléphoner au broker, ou prendre un rendez-vous sur Internet pour visiter un appartement, par exemple. Mais bon, faire utile n’est pas l’exercice le plus facile. N’est pas Uber qui veut.

Règle numéro cinq : soyez efficace


Depuis que Le Nôtre a dessiné les jardins de Versailles, les français adorent que les choses soient ordonnées, logiques et symétriques. Or, ce n’est pas nécessairement le plus efficace. Il faut savoir aussi tracer des raccourcis qui permettront aux internautes d’accéder directement aux pages qui les intéressent. L’arborescence, exercice auquel les concepteurs s’adonnent en premier, voilà l’ennemi. Regardez le site du gouvernement britannique par exemple. Il a été repensé pour que les principales questions que se posent les sujets du Royaume trouvent réponse dès la première page. Il n’y a pas de logique là dedans ; que de l’efficacité.
Corollaire de cette règle, pensez que votre site est une juxtaposition de pages qui, chacune, mérite d’être référencée sur Google comme toute autre. Trop souvent, les webmasters privilégient la home page (page d’accueil) en oubliant de mettre en avant les pages intérieures. Rien ne sert de passer par l’accueil d’un hôtel si on peut accéder directement à la terrasse du restaurant. C’est aussi une question d’efficacité. Concevez donc votre site comme une série de mini-sites, selon les thèmes abordés et les services proposés.

Règle numéro six : soyez social


L’époque est aux bavards et les réseaux sociaux sont leur tribune. Quoi que vous pensiez, c’est là que les choses se font désormais. Il va vous falloir doubler votre stratégie web traditionnelle d’une approche sociale.
Le travers est de prendre tous les réseaux en bloc, comme s’il ne s’agissait que d’un seul. En fait, chaque réseau a ses cibles, ses règles d’expression, ses conventions. Vous ne vous exprimerez pas de la même manière ni pour les mêmes raisons dans FaceBook que sur LinkedIn, cela va de soi. Mais qui connaît les subtilités des Pinterest et autres Instagram ? Tout cela est en fait assez complexe et votre approche des réseaux sociaux peut, à ce titre, être sélective. Choisissez-en certains, définissez une ligne éditoriale spécifique pour chacun d’eux et cela ne devrait pas trop mal se passer, si vous gardez le sens de l’humour, car il en faut pour émerger dans cet environnement. Evidemment tout cela relié, d’une manière ou d’une autre, à votre blog, dont nous avons parlé plus haut. Blog, réseaux sociaux et story telling forment un triptyque gagnant.

Règle numéro sept : ne faites rien


Et si la meilleure solution n’était pas de ne plus avoir de site web ? Après tout, certains nouveaux acteurs ont choisi de la faire, comme le très novateur et étonnant éditeur de presse Now This, qui ne publie que des vidéos d’une minute maximum et qui invite les visiteurs de sa page d’accueil web à le retrouver sur les réseaux sociaux. Vous n’en êtes peut-être pas encore là, mais si vous conservez en tête que votre site web doit être réduit à la taille d’une carte de visite consultable sur smartphone, vous vous rendrez compte que l’essentiel de votre travail va désormais être consacré au hors web, entendez aux blogs et réseaux sociaux.

mardi 31 mai 2016

Que faire des budgets marketing ? Plaidoyer pour le relâchement des dépenses.

Il est des postulats qui ont la vie dure. Celui qui veut qu’un budget marketing soit fermé, c'est-à-dire inscrit dans le marbre pour les 365 jours (366 les années bissextiles) de son existence, tient de la génétique. Pas si simple d’y déroger.


Pendant des années, je me suis plié au jeu de rôle de la négociation budgétaire. Les dépenses futures que l’on sait ne jamais engager, les arbitrages qui n’en sont pas, les économies annoncées et les réserves secrètes dans lesquelles on puisera le moment venu. L’année enfin démarrée, j’ai suivi mes dépenses mensuelles au centime, j’ai serré les robinets au grand désespoir des commerciaux assoiffés, bref, j’ai géré mon budget bien mieux que celui de mon ménage. Et quand l’heure du bilan est venue, j’ai présenté mes comptes en me réjouissant d’avoir su économiser et contribué ainsi, in extremis, à la marge brute de l’entreprise. (D’ailleurs, à l’usage des chefs d’entreprise qui liraient ces lignes, je leur rappelle que l’un des apports économiques de la transformation digitale est la réduction des budgets marketing qui, grâce au transfert de l’achat d’espace des médias traditionnels vers la communication en ligne, leur ouvre la voie de la réduction des coûts, sans licenciement. Soignez votre directeur marketing : il est le garant de la paix sociale et l’ami des analystes financiers en mal de cost killing.)

Dépenser plus, c’est gagner plus


J’étais donc paisiblement installé dans mes certitudes quand je tombe sur l’excellent blog de Bertrand Bathelot qui nous annonce la fin des budgets fermés. Son raisonnement ? Le marketing de la performance remet en cause le postulat des budgets fermés. En matière d’e-commerce, les dépenses marketing génèrent mécaniquement du chiffre d’affaires additionnel. A partir du moment où les supports partenaires sont rémunérés au rendement ou au  clic, « il est théoriquement possible, écrit-il, de mettre en relation l’investissement marketing réalisé et la marge générée par la campagne. » D’où l’idée d’un budget ouvert, sans limite sauf celle de la rentabilité des actions par rapport aux dépenses engagées. Dépenser plus, en quelque sorte, c’est gagner plus.

Rien ne sert d’accumuler des leads s’il n’y a plus rien à vendre


Ouvrir le budget marketing, ne plus lui imposer de plan annuel, est donc tentant. Sauf qu’il y a une limite, celle de la capacité de l’entreprise à livrer ses produits. Une limite évidente lorsqu’il s’agit d’immobilier, marché dont on sait qu’il est dominé par l’offre. A ce jour (et pour encore longtemps), c’est la production, la capacité des équipes de développement à trouver des terrains ou des projets, qui détermine l’activité et, par conséquent, les campagnes marketing à venir. Il ne sert à rien d’accumuler des contacts (leads) pas chers, s’il n’y a plus rien à vendre sur un programme.
Mauvaise nouvelle pour le directeur marketing : il va lui falloir continuer à négocier son budget marketing annuel.


jeudi 26 mai 2016

Le déferlement de la réalité virtuelle, c’est maintenant.

Goldman Sachs Research publie une étude montrant que les  réalités augmentée et virtuelle sont amenés à exploser dans les années à venir. Un développement dont l’immobilier devrait être l’un des moteurs clés.


La réalité virtuelle devrait représenter d’ici 2025, 80 milliards de dollars, dont un peu plus de la moitié pour le hardware et l’autre, pour le soft. La plus grosse partie est réservée au monde du jeu vidéo, mais d’autres secteurs vont en être les acteurs, comme l’immobilier qui va représenter à lui seul, 2,6 milliards de dollars. Ceux qui auront l’occasion de se rendre au prochain salon Rent, en novembre 2016, pourront le constater d’eux-mêmes : les startups dédiées à la réalité virtuelles sont bien réelles et sont passée du stade de la promesse et de l’expérimentation  à celui de l’industrialisation. On en reparlera…


lundi 23 mai 2016

Faut-il investir autour des gares du Grand Paris ? L’aménagement du territoire à l’épreuve des équations.


Jadis, les villes se développaient le long des chemins de fer. D’où les promesses spéculatives portées par la réalisation des nouvelles lignes de métro du Grand Paris. Mais toutes les gares sont-elles promises au même avenir radieux ? Où investir ? Les betteraves valent-elles toutes de l’or ?


L’urbanisme du XXIème siècle est bien parti pour renouer avec celui du XIXème où le chemin de fer incarnait la modernité et la vitesse, dans un environnement dominé par le cheval. Les villes se développaient en chapelet, au fil des nouvelles gares de banlieue, qu’elles soient dans le Queens ou au départ de Saint-Lazare. Aujourd’hui, les vélos, skateboards et autres véhicules prisés par les adeptes de la circulation dite « douce », ont remplacé les chevaux, tandis que la voiture est remisée au rang d’instrument d’un autre âge, celui du XXème siècle polluant.

L’accessibilité à l’emploi, clé du développement


Donc retour des gares et retour des spéculateurs qui misent sur le développement futur des villes. Le Grand Paris, avec ses 68 nouvelles stations de métro, fait office de champ d’expérimentation pour les urbanistes et les startups comme Urban Morphology Strategy, animée par Loeiz Bourdic. Son raisonnement ? les distances spatiales n’ont pas grand sens ; ce qui est important est le temps parcouru pour accéder à l’emploi. Pour étayer sa démonstration, il dessine une carte de l’Ile de France en mesurant le nombre d’emplois accessibles à partir d’un point en moins de trente minutes. En comparant cette carte à la situation telle qu’elle sera en 2030, il montre que la mise en service des nouvelles lignes du Grand Paris Express aura un impact direct sur l’attractivité économique des nouveaux quartiers de gare. Mais, et c’est là que l’analyse est intéressante, cet impact ne sera pas le même selon les lignes. Si la prolongation de la ligne 14 est un puissant générateur de développement pour la région, il n’en sera pas de même pour la ligne 16 qui traversera la banlieue Nord-Est et dont la création générera des gains plus limités en matière d’accessibilité aux bassins d’emplois.

On le comprendra donc, il n’y en aura pas pour tout le monde : si les nouvelles gares du Grand Paris vont aimanter la demande, toutes ne vont pas se développer de la même façon. Celles qui seront les plus proches, en temps de transport, des bassins d’emploi d’aujourd’hui ou de demain, ou qui formeront un nœud (une interconnexion), auront plus de chance d’attirer de nouveaux habitants et tous les services qui vont avec, que les gares situées en périphérie et où les durées de transition sont plus importantes.

Une France qui diverge vers l’inégalité des territoires


Cette approche dynamique du territoire est à rapprocher de l’étude publiée par Gilbert Emont et Soazig Dumont*, de l’IEIF, établissant une typologie des marchés du logement. Leur analyse montre que les villes de plus de 100.000 habitants peuvent être rangées en cinq grandes catégories, selon leur dynamisme démographique,  leur économie ou leur attractivité naturelle. Loin de tendre vers l’égalité des territoires, l’étude montre que la France est hétérogène et que, selon la ville dans laquelle vous vous trouvez, le marché aura des comportements « dynamiques », « déclinants » ou « solaires » pour reprendre leur terminologie.
Un raisonnement qui s’applique, à une échelle plus réduite, à l’Ile de France dont ils soulignent la polarisation des espaces. Que vous vous trouviez en banlieue Sud ou Est, le rôle joué par le logement intermédiaire ou social ne sera pas le même, le poids de l’accession, différent. Les douze « territoires » (regroupements de communes) qui se sont constitués de manière plus ou moins spontanée au moment de la création du Grand Paris, sont en voie de se spécialiser, certains misant sur la sécularisation de leur parc immobilier du fait de sa densité, quand d’autres, qui disposent de réserves foncières plus importantes, s’ouvrent au développement et à la croissance de leur population. Au lieu de se niveler, les territoires de l’Ile de France sont donc plutôt sur le chemin de la dispersion et de la spécialisation.

Le big data pour éclairer les choix des aménageurs et des investisseurs


Les gares, pour revenir à elles, ne jouent pas nécessairement un rôle moteur dans ces mouvements, mais elles vont en exacerber les tendances au lieu de les corriger. D’où l’intérêt, pour revenir à ma première remarque, de faire appel aux modèles économétriques pour éclairer les choix des aménageurs, des promoteurs et des investisseurs. Le big data, l’exploitation des bases de données, est ainsi appelé à jouer un rôle déterminant pour expliquer, analyser et prévoir la complexité croissante des territoires et des interactions qu’ils entretiennent entre eux.


*Gilbert Emont et Soazig Dumont, Marché du logement, l’empreinte des territoires. Editions Economica, 2015.

jeudi 31 mars 2016

Participatif contre algorithme : la big data a-t-il une couleur politique ?


Il est d’usage de confronter le système participatif, celui qui repose sur le partage et l’échange par les réseaux, à l’algorithme qui revient à scruter le comportement des consommateurs pour le mettre en équations. D’un côté, la démocratie, de l’autre, Big Brother, expression cachée d’un totalitarisme moderne. Les choses sont-elles si simples ?


La formule n’est pas de moi : je l’ai entendue de la bouche d’Olivier Margerand à l’occasion d’une conférence. « Participatif = stade poussé de la démocratie. Algorithmique = automatisé par analyse » m’a-t-il tweeté lorsque je lui ai demandé de préciser sa pensée.
L’idée est intéressante, que de confronter ainsi les réseaux et les moteurs, la démocratie et la dictature, les gentils et les méchants… (Rendons justice à Olivier : jamais il ne m’a parlé de totalitarisme, c’est moi qui conclus ainsi). Allons plus loin : les startups, les coworkers et les connectés d’un côté, contre les big firms, les Gafa* et les adeptes du big data de l’autre.

(Re)lisons Tocqueville


Avoir fait Sciences Po m’a au moins appris une chose, c’est de me méfier des raccourcis, surtout lorsqu’ils sont politiques.
Premier raccourci : le web est construit sur le participatif, donc il est l’expression de la démocratie. Là, c’est facile de démontrer le contraire : les réseaux sociaux sont aussi le tuyau par lequel passe la propagande la plus sombre, le réceptacle des théories conspirationnistes les plus fumeuses et j’en passe. Quant à savoir si le participatif, c’est la démocratie, il suffit de relire Tocqueville (un écrivain d’avant la création d’Arpanet) pour se rappeler que la loi du plus grand nombre peut aussi aboutir à l’oppression des minorités. Tocqueville appelle cela la tyrannie de la majorité.

Second raccourci : l’algorithme est un totalitarisme. En fait, on touche là au fond du métier du marketeur. Il faut bien se rendre à l’évidence que le rêve ultime d’un homme ou d’une femme de marketing est de mettre le comportement des consommateurs en équations. Et cela depuis toujours, bien avant l’irruption du numérique. Les Yves Rocher, La Redoute et autres vépécistes ne faisaient pas autre chose en leur temps, lorsqu’ils scrutaient la variation des taux de transformation de leurs mailings en fonction du contenu du message, de la couleur ou de la création graphique. Les merchandiseurs ne pensaient pas autrement lorsqu’ils testaient la réactivité des acheteurs en fonction de l’aménagement des hypermarchés. On parlait alors de modèles RFM (récence, fréquence, montant) pour segmenter les bases de données. On fait aujourd’hui du big data.

Le marketing est apolitique


Que reprocher à Google qui mémorise l’historique de nos recherches lorsque son objectif est d’améliorer la pertinence de ses réponses ? Pourquoi son algorithme est-il si hermétique si ce n’est pour protéger la neutralité de son moteur des détournements des annonceurs qui voudraient bien que leurs sites remontent dans le classement du référencement naturel ? Que dire de Criteo qui fait que les publicités qui nous sont présentées en ligne répondent à un besoin que nous avons exprimé ? Eh bien, on peut dire qu’ils font leur travail… Mais voir dans leurs algorithmes une volonté perverse de contrôler les esprits pour dominer le monde, on en est loin. Le marketing ne fait pas de politique.

Le marketing, adepte du béhaviorisme


Il reste que le marketing, dans son analyse, est indéniablement inspiré des théories behavioristes qui voudraient que le comportement humain soit prévisible. A les croire, l’homme répond à des stimuli et la loi du nombre (celle des statistiques) fait que l’on peut orienter les actes d’achat des consommateurs si on actionne les bons leviers.
Mais tout cela est un peu théorique : ni le béhaviorisme, ni le marketing, ni le big data n’atteindront le Graal de la mise en équation du comportement humain. C’est que les actions des individus ne sont pas seulement le fruit de stimulations : elles dépendent aussi de facteur psychologiques, historiques ou sociétaux qui lui sont intimement propres et qui font que le consommateur sera toujours et indéfectiblement un mystère.
Après tout, l’homme est un être libre dans ses actes et ses pensées.

* Gafa : Google, Apple, FaceBook et Amazon


PS. Pour ceux que cela amusera, je leur suggère une de mes publications littéraires sur le sujet, avec un point de vue tout à fait opposé… mais il s’agit d’anticipation, n’est-ce-pas ?

mercredi 9 mars 2016

Les brokers sont-ils menacés d’uberisation ? Les conseils en immobilier d’entreprise à l’épreuve du numérique.


On leur prédit un destin funeste. Parce qu’ils sont intermédiaires entre vendeurs et acheteurs, bailleurs et locataires, les  conseils en immobilier tertiaire seraient nécessairement appelés à disparaître. Et pourtant, rien ne montre que leur position soit menacée. Sauf que l’irruption du numérique modifie en profondeur leur façon de travailler et les oblige à reconstruire leur chaîne de valeur vers plus de conseil et d’accompagnement.


C’était la belle époque des business models et des prédictions alarmistes : si vous ne changez pas, vous mourrez. C’était en l’an 2000, quelques mois avant l’éclatement de la Bulle Internet. Et, déjà, les brokers, ces grands cabinets internationaux qui mettent en contact acheteurs et vendeurs, propriétaires et locataires d’immobilier tertiaire, étaient dans le collimateur et leur mort prochainement annoncée. C’est que personne n’aime les intermédiaires. Payer une commission sur une transaction est toujours difficile à admettre, que l’on soit investisseur, propriétaire, bailleur ou locataire.
Quinze ans plus tard, les brokers sont toujours là, mais leurs détracteurs aussi. « Uberisation », « désintermédiation », « disruption » : à écouter ces derniers, le grand soir est enfin venu, les commercialisateurs immobiliers seraient les prochains sur la liste des victimes de la digitalisation.
Mais alors, comment expliquer qu’ils soient toujours présents ? Peut-être ont-ils su s’adapter ? Et si la menace était plus subtile que cela ?

Partager ses données, c’est bien, en confier la gestion à un tiers, c’est dangereux


Revenons de nouveau en arrière. Il y a pratiquement 30 ans, en 1987 – donc aux prémices du développement de l’Internet – Andrew Florance créait à Washington CoStar, une startup dont la position allait devenir clé, si ce n’est hégémonique, sur le marché de l’immobilier d’entreprise. Son idée ? Compiler les informations sur les transactions des grands brokers et les retraiter pour… leur revendre. Une espèce de gigantesque banque de données partagée. Le modèle était simple, encore fallait-il convaincre les commercialisateurs d’y souscrire pour atteindre un niveau de crédibilité qui lui permette de prendre la place de leader sur son marché.
Mais voilà : partager ses données, c’est bien, en confier la gestion à un tiers, c’est dangereux. Très vite, les brokers se sont rendu compte qu’ils ne pouvaient plus se passer de CoStar et que ce dernier leur coûtait bien cher.
Pour éviter que la France ne soit contaminée par ce modèle numérique, quatre conseils en immobilier leaders de la place (BNP Paribas Real Estate, CBRE, DTZ et JLL) créaient en 2001 le GIE ImmoStat, sur le même modèle de compilateur de données et, pour corollaire, Webimm, site de publication des annonces d’immobilier d’entreprise. Ouf ! La Gaulle était sauvée de la menace d’invasion anglo-saxonne.

Des solutions génératrices de valeur


Les commercialisateurs sont-ils véritablement menacés par le numérique ? Je ne crois pas. CoStar, pour ne parler que de lui, n’est qu’un outil et participe, en tant que tel, à l’amélioration de la productivité des brokers. En mettant à leur disposition des informations compilées et validées par ses 1200 collaborateurs, il leur permet d’économiser des milliers de dollars en ressources qu’il leur aurait fallu affecter à la documentation et la gestion des données. Que la facture soit douloureuse à régler en fin d’année, on le conçoit, mais le bénéfice vaut largement ce coût.
Par ailleurs, son modèle est lui-même confronté à l’émergence de nouveaux acteurs qui s’engouffrent dans le canal des fournisseurs de solutions génératrices de valeur. CompStak, par exemple, ou encore HighTower, sur le marché locatif, proposent une offre de services qui, intégrant l’accès à des données compilées et vérifiées, y ajoutent des outils métier très ciblés : gestion des opportunités pour les brokers, analyse des actifs en due diligence pour les investisseurs ou amélioration du rendement d’un parc immobilier pour un propriétaire. En France, la Place de l’Immobilier, suivant la même voie, propose aux acteurs de jauger le marché à partir de la base d’information qu’elle gère. On pourrait aussi citer Honest Buildings qui s’est attaqué aux appels d’offres en ligne. Ainsi, les sources d’amélioration de la productivité sont multipliées pour qui n’a pas peur d’intégrer les technologies numériques dans le quotidien de ses collaborateurs.

L’irruption du numérique n’est pas une disruption


Est-ce à dire qu’il n’y a rien à changer au modèle des brokers ? Certes non : si l’irruption du numérique n’est pas une disruption (rupture), elle a modifié en profondeur leur métier comme l’atteste l’exemple américain. Jadis, pour caricaturer, le commercialisateur jouait le rôle d’entremetteur en donnant accès au marché et en délivrant de l’information. Cette fonction de détenteur de l’information n’a plus aujourd’hui grand intérêt, dans la mesure où les machines peuvent remplacer l’homme pour ce faire. Celui qui cherche à investir ou à louer dispose, aux États-Unis, d’une vision exhaustive des offres du marché et des transactions passées. Il n’a plus à passer par l’intermédiaire d’un broker pour cela, car, sur CompStak par exemple, il a une vision précise du positionnement de son actif dans le marché, des loyers pratiqués dans d’autres immeubles à proximité, des transactions récentes etc.
Ça change tout, car l’accès ouvert à l’information nivelle – a priori – les brokers entre eux. Il n’y a plus de différence entre un major, qui était jadis détenteur de l’information du marché, et une officine de quartier.  Pour se démarquer les uns des autres, ils ont été contraints de faire évoluer leur offre en la tirant vers le haut.

Tirer vers le haut le niveau de conseil et d’accompagnement

                       
Le métier du commercialisateur a donc évolué, poussé par le numérique. Premièrement, il s’est concentré sur les affaires les plus complexes, sur lesquelles son savoir-faire et sa technicité ont le plus d’impact. Deuxièmement, il a cherché à sécuriser en amont sa relation avec son client en lui proposant de l’accompagner à moyen terme, sur la durée de son projet. D’où la recherche de mandats au long cours, notamment pour conseiller des preneurs ou des investisseurs (buy side) ayant des problématiques globales à gérer dans le temps. Enfin, troisième changement, la recherche de l’intégration technologique entre ses systèmes et ceux de son client (extranets interfacés, APIs etc.). Double intérêt de cette intégration : non seulement elle génère des gains de productivité chez le client, mais en plus, elle renforce sa fidélité, car le coût de la rupture du contrat est plus lourd à supporter, les interfaces informatiques devant être redéveloppées en cas de changement de partenaire.

En conclusion, s’il n’y a pas de menace de disruption, il y a bien eu, aux Etats-Unis, une évolution des métiers du broker du fait de l’automatisation accélérée des tâches. L’évolution n’a pas pris la même ampleur en France, non pas que nous soyons moins doués en technologie, mais la sanctuarisation des données chez ImmoStat a contribué à bloquer l’évolution. Il est en effet difficile aux startups de travailler sur de nouveaux outils métiers à l’usage des commercialisateurs, comme le proposent Compstak, HighTower ou Honest Builings outre-Atlantique, sans avoir l’accès à la source, aux données du marché. Pour l’instant, on en est encore resté, en dehors des élus qui y ont accès via ImmoStat, à l’âge de pierre, et il faut, pour les autres brokers, déployer des trésors de ruse pour connaître les vrais prix de transaction et donner des références fiables à leurs clients. La position française pourra-t-elle tenir longtemps ? Elle est, en tous cas, difficile à défendre et elle ralentit la modernisation de la profession, en empêchant le développement de nouveaux acteurs numériques et en freinant l’évolution des prestations des brokers vers plus de conseil, d’accompagnement et de sophistication, comme on l’a vu aux États-Unis. C’est aussi mettre un barrage à la tendance qui veut que l’information soit de plus en plus partagée et que son coût baisse vers zéro. Que l’on soit d’accord ou non, qu’on le déplore ou non, c’est ainsi que va le monde aujourd’hui et il faut le prendre en compte si on veut tirer parti des évolutions de notre environnement.