dimanche 14 février 2016

Peux-t-on se passer d'un DSI ? Ou les hésitations de l'informatique face au numérique.

©Bisson

Technologies obsolètes, lourdeur des processus, le directeur informatique est souvent considéré comme un obstacle, celui qui empêche au digital de s'épanouir pleinement. Mais comment s'en passer ? Faire l'économie d'un DSI, c'est rester au stade de la preuve du concept (proof of concept). À lui de prendre le flambeau du numérique pour l'intégrer dans les systèmes et en faire une machine à créer de la valeur.

Mon ami Didier, que je félicitais récemment de la brillante réussite de son entreprise d'informatique, me répondit : « tu n'y es pas du tout, l'intégration des systèmes, c'est fini. Il y a 10 ans, on était les champions et notre développement ne dépendait que de notre capacité à recruter des jeunes informaticiens qu'on envoyait en batterie chez les clients pour refondre leurs systèmes. Aujourd'hui,  que veux-tu, les mégaprojets SAP, il n'y en a plus. D'un côté, tu as les Gafa(*) qui proposent leurs technologies pratiquement gratuitement aux grands comptes et, de l'autre, des tombereaux d'indiens qui te font le boulot pour le dixième du prix. Et en plus ils sont bons ! Moi, je te le dis : l'IT c'est fini.»

L'irruption du numérique bouleverse le microcosme de l'informatique d'entreprise


Pauvre Didier : si les prestataires en informatique commencent à se plaindre, que va-t-il nous rester ! Et si vous entrez dans les entreprises alors, là, c'est le carnage. D'un côté de l'arène, le marketeur et le directeur commercial, suivi d'une cohorte de startups. De l'autre le directeur informatique avec ses intégrateurs, développeurs, architectes et urbanistes. Entre les deux camps, c'est la méfiance : « lourdeur, manque d'agilité » disent les uns, « inconscience, insécurité », répondent les autres.

Il est vrai que l'irruption du numérique a bouleversé le microcosme de l'informatique d'entreprise. Alors que, jusqu'à présent, les DSI menaient paisiblement leur chemin en intégrant les grands systèmes et en les faisant évoluer au rythme des projets, voilà que le digital est venu tout changer. D'abord, la demande n'est plus émise par l'exploitation (celle qui consommait du SAP) mais par le marketing et le commercial. Ensuite, cette demande est en perpétuel renouvellement : vérité en année N, erreur au-delà ; il faut agir vite sous peine de passer à côté des évolutions déployées par la concurrence. Troisième facteur de changement, le numérique fait appel à des technologies en open source qui, horreur absolue, ne répondent pas aux standards de sécurité exigés.

La dictature du proof of concept


Enfin, dernier point, le DSI, qui avait l'habitude de gérer l'informatique en mode projet (expression de besoin, spécifications fonctionnelles, spécifications détaillées, développement, recette) se retrouve face à une population qui y est étanche. Pour les marketeurs et les commerciaux, le bon schéma est plutôt : je développe, je démontre, je déploie. C'est la dictature du proof of concept. « Aïe, dit le DSI, ça ne me va pas du tout, on va dans le mur ». Le directeur informatique serait-il devenu ringard ? Ou, pour reprendre l'expression à la mode, manque-t-il d'agilité ?

C'est à ce moment crucial, où les deux parties sont dans l'arène et qu'elles vont en venir aux mains, et où le marketing menace de passer aux actes (comprenez : développer son propre système d'information) que la direction générale intervient et siffle la fin de la récré.
À la DSI, elle dit : « réformez-vous, nous n'avons pas le temps d'attendre. Le changement c'est maintenant ! Il me faut des outils intégrés, et vite ! Avant que la concurrence n'ait pris de l'avance. »
Au marketeur et à sa cohorte des startups incubées : «  la preuve du concept, c'est bien, la création de valeur c'est mieux. Mettez-vous au travail avec les informaticiens et intégrez-moi tout cela dans mes systèmes d'information. Pas d'intégration, pas de bénéfice. »

Intégrer le numérique aux systèmes d'information


En effet, à quoi sert de mettre en place une appli permettant de suivre l'avancée d'un chantier et la levée des réserves, si elle n'est pas interfacée avec les outils métier ? Quel est l'intérêt de générer des centaines de contacts Internet sur vos programmes immobiliers s'ils ne sont pas reversés dans votre outil de gestion de la relation client (CRM) ? Pourquoi proposer des plans 3D interactif aux visiteurs de votre site Web s'il faut redessiner entièrement ce que vous aura livré votre architecte ? Intégration du numérique aux systèmes d'information, voilà le maître mot. Celui qui va transformer votre « proof of concept » en « cash machine ».

Ce n'est pas une révolution mais un changement de point de vue à quoi sont confrontées les directions informatique. Le point de vue qui place les questions marketing et commerciales au cœur des préoccupations des entreprises. Que le client soit roi n'est pas une découverte, mais le fait qu'il interagisse avec l'entreprise via des outils numériques pose un défi aux informaticiens. Un défi qu'ils vont relever.

Que Didier se rassure : il y a encore du travail pour les intégrateurs.

(*) Gafa : Google, Apple, FaceBook et Amazon.

lundi 1 février 2016

Faut-il fermer les bureaux de vente ? La commercialisation assise des promoteurs face au numérique.

© Wikipedia

Le développement de la communication en ligne des promoteurs immobiliers bouleverse le processus commercial des forces de vente assise. La question est, dès lors, sur le tapis : que faire des bureaux de vente ? Ont-ils toujours une utilité ?

Vous pensez que tout a été inventé en matière de communication numérique immobilière ? Vous vous trompez : demain sera pire qu’aujourd’hui (ou bien meilleur, selon votre point de vue). Après le plan interactif, voici venu le temps de la visite virtuelle, du display et de l’imprimante 3D. Que d’innovations ! Mais quels changements dans la commercialisation !

Le vendeur assis vissé sur son siège


Première conséquence de cette irruption du digital : le prospect, charmé par son parcours d’avant-vente dans le monde du virtuel, repousse le plus loin possible le contact physique ou téléphonique avec la vente. Pourquoi s’ennuyer à écouter un vendeur lorsque l’on peut, tranquillement de son fauteuil, visualiser, imaginer, visiter, comparer et évaluer son futur appartement ? Le contact commercial est ainsi retardé et rien de sert de vouloir violer le prospect trop tôt : il faut attendre qu’il soit mûr pour le solliciter.
Deuxième conséquence, le vendeur assis a la désagréable sensation, lorsque le prospect pousse (enfin !) la porte de son bureau de vente, que ce dernier sait déjà tout. Que lui apprendre de nouveau sur l’immeuble et les appartements en commercialisation, puisqu’il a déjà tout vu et lu ? C’est le syndrome de la blouse blanche : le prospect, comme le patient, pense aujourd’hui en savoir plus sur le produit (la pathologie) que le vendeur (médecin).
Troisième conséquence, le commercial croule sous les leads. La formidable puissance du numérique multiplie les points de contact. Non seulement il (le prospect) remplit des formulaires sur les portails, mais on sait qu’il visite les sites de présentation, qu’il navigue sur les médias sociaux et qu’il a téléchargé l’appli de 3D, lorsqu’elle existe. Trop de leads tue le lead et le vendeur assis à qui on demande de bien vouloir relancer tous ces contacts, est saisi du spleen de l’infinie solitude des bureaux de vente.

Transformer l’espace de vente, mais comment ?


On l’a compris : l’espace de vente du promoteur immobilier est appelé à muter, tout comme le processus de commercialisation est amené à s’adapter à la nouvelle donne. Un changement que d’autres ont déjà connu : la Poste, les banques ont repensé leurs espaces de vente, en automatisant ce qui peut l’être et en propulsant leurs employés au rang de conseillers. Pourquoi n’en serait-il pas aujourd’hui de même dans la commercialisation d’immobilier neuf ? Les promoteurs que j’ai pu rencontrer sont, sur ce point, unanimes : oui, le changement est nécessaire. Les plus avancés diront qu’il est bien entamé ; mais la vérité est qu’il n’y a pas, pour le coup, de modèle émergent. Faut-il supprimer les bureaux de vente sur site ? Les prospects doivent-ils être réorientés vers des espèces de show-rooms centralisant le meilleur de la technologie pour garantir au prospect visiteur un effet « waouh » ? Hum… pas évident : les plus vieux se souviendront des expériences ratées de boutiques centralisées des promoteurs qui, dans les années 90 se sont multipliées… pour refermer très vite devant le coût pharaonique des m² loués en centre-ville. Quant à l’espace de démonstration type atelier-des-nouvelles-technologies, seuls les plus gros auront les moyens de leur ambition (on se reportera à ce titre aux très intéressantes expériences menées, sur des secteurs parallèles, par des opérateurs comme la Samaritaine qui a ouvert un espace éphémère où les visiteurs ont pu, casqués, visiter virtuellement le futur quartier).

Le petit commerce, il n’y a que cela de vrai


Peut-être ferait-on bien de sortir de notre carcan immobilier pour voir ce que vivent les autres commerçants, ceux qui vendent des tablettes, des vêtements ou des balles de tennis. Ils ont les mêmes doutes que les promoteurs, mais en pire : car si la signature d’un appartement ne se fait pas encore en ligne, ce n’est pas le cas pour les biens de consommation courante. Pour faire court, les entreprises du retail ne raisonnent plus aujourd’hui dans un schéma conflictuel vente virtuelle vs vente en boutique. Elles considèrent que le cheminement du consommateur est éminemment ambigu, passant de son ordinateur à la galerie commerciale et de la boutique à son smartphone. La boutique, dans ce processus de décision multicanal, joue un rôle d’espace de séduction (faire rêver sur le concept de la marque) et de démonstration (amener le prospect à toucher le produit).

Démonstration et séduction


Si on applique ce raisonnement à la vente d’immobilier neuf, on voit que l’espace de vente est appelé à jouer un rôle clé : dans un métier où on ne vend que du vent (ou de la promesse de construire, traduction de l’acronyme VEFA) le bureau de vente est le lieu où le prospect va pouvoir toucher du doigt son futur appartement, vivre une expérience on l’espère unique, sur l’immeuble, son architecture, les espaces de vie où il recevra ses amis, l’environnement urbain et les commerces autour, la qualité des écoles, bref tout ce qui va être déterminant dans les quinze années de sa vie qui vont suivre. Espace de séduction, de démonstration, de rêve, donc un outil mis à la disposition de la force de vente… à qui on va demander de se lever pour aller à la rencontre de ses prospects. Le bureau de vente n’est plus le domicile de la vente assise, mais un des nombreux outils marketing mis à sa disposition pour séduire son client. Ça change tout.

Je vous le confirme : le bureau de vente générateur de contacts est bien mort…